prier avec saint dominique
Par Alain QUILICI o.p.
Un homme de coeur
Au temps où il poursuivait ses études à Palencia, une grande famine s'étendit sur presque toute l'Espagne. Emu par la détresse des pauvres et brûlant en lui-même de compassion, il résolut par une seule action d'obéir à la fois aux conseils du Seigneur et de soulager de tout son pouvoir la misère des pauvres qui mouraient. Il vendazit tous les livres qu'il possédait (pourtant vraiment indispensables) et toute ses affaires. Constituant .alors une aumône, il dispersa ses biens et les donna aux pauvres. (LIB. N°10)
La compassion qui a touché le coeur du jeune étudiant au contact de la misère ne le quittera pas. La miséricorde est le premier trait caractéristique de la personnalité de Saint Dominique. Pour commencer cettte retraite en sa compagnie, il faut avec lui mesurer quelle compassion habite notre coeur.
Comme le mot l'indique la compassion est cette attitude intérikeure qui met en communnion avec la misère d'autrui. Le Seigneur Jésus était habité par cette compassion. Il souffrait avec ceux qui souffraient. Il partageait leur peine. Il a transmis àç ses disciples cette sensibilité. La misère des hommes le bouleversait.
Le jeune Dominique ressemble au jeune homme riche qui serait allé jusqu'au bout de sa démarche. Comme lui, il va vers le Seigneur. Il veut obtenir la vie éternelle. Déjà il pratisue les commendements. Et lorsqu'il entend intérieurement l'ordre de vendre tous ses biens, il le fait spontanément, car il y a urgence. Il ne donne pas de son superflu. Il donne ce qui lui est le plus utile. Ce dont il a le plus besoin : ses livres annotrés de sa main.
Le Seigneur Jésus, sensible à la faim de la foule, multiplie les pains et les poissons. Dominique fait ce qu'un homme peut faire, mais que peu d'hommes font. Il donne ce qu'il a. Il ne fait pas un discours sur la pauvreté, il va au plus pressé, comme son coeur le lui commande. Comme plus tard Saint Vincent de Paul, il ne cherche pas à résoudre tous les problèmes de la faim dans le monde. Il fait ce qu'il peut, il a le courage de le faire.
Frère Etienne, un de ses derniers frères, un de ceux qui ont reçu ses confidences, témoignera au procés de canonisation.
Tout ému de compassion et de miséricorde, frtère Dominique vendit ses livres annotés de sa main et en donna le prix aux pauvres, ainsi que d'autres objets qu'il possédait? « Je ne veux pas, disait-il, étudier sur des peaux mortes, tandis que les hommes meurent de faim. » ( VIE n°35).
Dominique n'est pas un sentimental. Il est homme de coeur. Il est particulièrement sensible. Il ne supporte pas de voir la misère dans laquelle vivent les hommes. S'il réagit, tout jeune, à la misère matérielle provoquée par la famine, il réagira plus tard à la misère morale de celles et ceux qui se sont laissé entraîner dans l'hérésie.
Dominique est un homme de coeur. Il partage avec son contemporain et ami frère François d'Assise, ce sopuci d'imiter le Christ dans sa pauvreté. Il a perçu que la vraie pauvreté de Jésus n'est pas sa pauvreté matérielle, ce n'est pas seulement le fait qu'il n'est pas où reposer la tête, sa vraie pauvreté il l'a manifestée en « ne retenant pas le rang qui l'égalait à Dieu ». Elle se manifeste dans cette compasion qu'il éprouve à la vue du troupeau sans berger.
Dominique a reçu de l'Esprit Saint ce don de communbier à la souffrance des autres. Il l'a montré lors de la famine de Palencia, il le montrera toute sa vie.
Sa vocation elle-même est déclanchée par cette compassion. Quand il décopuvre la misère de ces gens qui ont été détour,és de la vraie foi et de la communion de l'Eglise par les prédicateurs cathares qui avaient trouvé refuge dans le Sud-Ouiest de la France après avoir été chassés de partout ailleurs, il en est bouleversé. Les mentalités ayant changé au cours des siècles, on s'(est plu par la suite à décrire saint Dominique comme un pourfendseur d'hérétiques. Il serait p^lus juste de voir en lui un homme d'une extrême sensibilité. A proprement parler, il ne supporte pas la vue de ce gâchis.
Nombreux sont les témoins qui l'ont vu pleurer. Comme Jésus pleure sur Jérusalem indifférente à son message d'amour, Dominique pleure sur la misère du pauvre monde. Il pleure aussi en célébrant la messe, tant il fait sienne la passion du Christ. Il souffre avec luui de ce que Dieu ne soit pas aimé comme il devrait l'êtrte. Il souffre avec lui de ce que les hommes ne reçoivent pas le message de l'Evangile qui ne parle que de l'amour de Dieu pour les hommes.
Cette compassion ne reste pas théorique, elle va changer la vie de saint Dominique. Il va se laisser guider par elle. C'est elle qui va changer le cours de sa vie.
Et s'il décide de resteren Lauragais, au lieu de rentrer chez lui pour reprendre sa vie bien réglée, c'est qu'il a perçu un appel d'une force telle qu'il ne peut résister.
Dominique est un homme de coeur. On verra plus loin qu'il n'est pâs une mauviette, un peurnichard qui s'effondre dès que le sang coule. Il est tout à fait capable de prendre des décisions. Mais au fond de lui, c'est le coeur qui parle.
Plus d'une fois il sera le consolateur de ses frères. S'il voit un frère en peine, il se consacre à lui. Il lui parle. Il l'exhorte à se ressaisir et à faire confiance à la divine Providence. Ses paroles sont si douces, dit-on, il a si bien perçu le point douloureux dans la vie du frère, que celui-ci repart consiolé et réconforté.
C'est un trait du Bienheureux Dominique, dont se fait explicitement l'écho soeur Cécile, une des première moniales de son Oprdre. Elle l'a souvent entendu au parloir de son monastère et lui a survécu de nombreuses années : Il restait toujours sqouriant, à moins qu'il ne fut émude compassion par quelque affliction du prochain (VIE 124)
On peut dire de saint Dominique qu'il avait une manière de sensibilité féminine, cette intuition qui devine sans que rien ne soit dit et qui prévient cette délicate attention qui sait faiore le geste apaisant quio convient au bon moment.
Son successeur à la tête de l'Ordre dresse lui aussi un portrait dans son Libellus, ce livret qu'il écrit pour les frères qui voudraient connaître les circonstances de la fondation et les premiers moments de l'Ordre des Prêcheurs. (LIB n°2)
Voici ce qu'il dit :
Il y avait en lui une très ferme égalité d'âme sauf quand quelque
misère en le troublzant l'excitait à la compassion et à la
miséricorde. (LIB n° 103)
Et plus loin cette autre remlarque qui en peu de mots dresse un émouvant et précis portrait spirituel :
Il accueillait tous les hommes dans le vaste sein de sa charité et
puisu'il aimait tout le monde l'aimait. Il s'était fait une loi
personnelle de se réjoir avec les gens joyeux et de pleurer avec
ceux qui pleurent, débordant d'affection religieuse et se
dévouant tout entier à s'occuper du prochain et à compatir aux
gens dans la misère (LIB n° 107)
Dominique vit très spontanément cette compassion à la misère d'autrui. Etant tout imprégné du Seigneur Jésus, le laissant vivre en lui, il en acquis les réflexes. Il ne saurait passer près d'une misère sans en être touché. Il a ce coeur de chair qui fait les hommes de Dieu, les vrais théologiens, comme dira plus tard un des fils de son Ordre, saint Thomas d'Aquin.
Aussi saint Dominique a-t'il voulu que ses frères partiocipent de cette même compasion. Il veut qu'ils aillent prêcher poussés par cet unique imprératif : donner aux hommes, dans leur misère matérielle, morale et spirituelle, la réponse quio a jailli du coeur de Dieu. Et pour qu'ils restent sensibles, pour que leur coeur ne s'habitue pas, pour qu'ils n'oublient pasd leur vraie raison d'être, il leur demande d'aimer la pauvreté.
La pauvreté pour lui, est le signe auquel on reconnaîtra des prêcheurs vraiment disponbibles dans les mains de Dieu, des pêcheurs aimant vraiment le Christ au point de s'en remettre à luio en tout et pour tou. De nombreux témoignages disent de lui qu'il était un véritable amant de la pauvreté. (LIB 108)
au premient jour de retraite avec saint Dominique on méditera avec lui sur cet immense amour qui brûlait le coeur de Notre Seigneur Jésus Christ, cet amour qui le conduisit jusqu'à la croix, cet amour qu'il a répandu dans le coeur de ses fidèles.
UN HOMME de DECISION
Il (frère Dominique) invoqua l'Esprit Saint, convoqua tous les frères
et leur dit qu'il avait pris dans son coeur la décision de les envoyer
tous à travers le monde, en dépit de leur petit nombre et que désormais ils
n'habiteraient plus tous ensemble en ce lieu. Chacun s'étonna de
l'entendre proclamer catégoriquemen,t une décision si rapidement prise.
Mais l'autorité manifeste que lui donnait la sainteté les animait si bien,
qu'ils acquiésèrent avec assez de facilité, pleins d'espoir quant à
à l'heureuse issue de cette décision. (LIB n° 47)
Mais tout cela s'accomplissait par un instinct divin.
C'était merveille de voir comment le serviteur de Dieu maître
Dominique, lorsqu'il distribuait ses frères de-ci de-là, dans les divers
quartiers de l'Eglise de Dieu, ainsi que nous le reppelions, plus haut, le
faisait avec certitude, sans hésiter, ni balancer, bien que d'autres au
même moment fussent d'avis qu'il ne fallait pas faire ainsi. Tout se passait
comme s'il était déjà certain de l'avenir, ou que l'Esprit l'eût enseigné
par ses révélations. (LIB n°62)
La compassion n'a jamais enlevé à Dominique l'esprit de décision. Au contraire les importantes décisions qui marquent sa vie procèdent de sa compassion. Il se sent poussé intérieurement à prendre des routes qu'il n'avait d'abord pas prévues. La même urgence l'anime. L'urgence de nourrir ceux qui ont faim, comme l'urgence de se dévier de la voie qui semblaikt toute tracée.
La première grande décision fut celle de rester en Languedoc. A cette époque, il dépend encore de son évêque, Diègue d'Osma. C'est lui qui, de retour de la Curie s'attarde avec les légats que le pape a envoyé à la rencontre des Cathares. Ils y restent deux ans. Puis Diègue décide de revenir dans son diocèse qu'il n'avait que trop longtemps négligé. Il laisses sur place son sous prieur frère Dominique. Il lui confie de poursuivre sa mission.
Il confie la charge spirituellede ceux qui restaient à l'autorité de
frère Dominique, parce que celui-ci était véritablement plein de
l'Esprit de Dieu. ( LIB n°29)
Non seulement frère Dominique ne fait pas la moindre objection, mais il restera défin itivemlent dans ce pays qui n'est pas le sien et qu'il adopte pour l'amour du Seigneur. Il commenscera par séjournert pendant neuf ans à Fanjeaux.
On peut admirer ici la la docilité de frère Dominique. Il fait sienne l'intuition de évêque, avant de la reprendre à son compte et de lui donner une ampleur bien plus grande. Car l'esprit de décision va de pair averc la docilité. Celui qui sait bien commander est celui qui a su d'abord bien obéir. Non pas obéir par manque d'idée ou par faiblesse de caractère ;mais obéir en entrant volontiers dans un propos supérieur. Dominique a été un chef incomparable parce qu'il a su entrer dans un ptojet qui au départ n'était pas uniquement le sien.
La décision étant prise, Dominique n'y revient plus. Il a tout abandonné pour se consacrer à sa nouvelle tâche. L'esprit de décision n'a de valeur que s'il s'accompagne de la persévérance. Dominique manifeste autant de ténacité que de décision. Il sait durer dans ce qu'il a entrepris. Ce que ses contemporains appellent sa très ferme égalité d'âme (LI n0104). Lorsqu'il accepte de rester dans le midi de la France aussi bien que lorsqu'il disperse ses Frères aux quatre point de l'Europe, dans les grandes occasions comme dans les détails de la vie ordinaire, Dominique ne tergiverse pas. On le sent comme pressé par la brièveté de la vie (de fait il mourra vers 51 ans) et l'urgence de la mission.
Il faut croire que ce trait de son attitude spirituelle n'est pas courant puisque ses proches le notent :
Il conservait une telle constance dans les affaires qu'i avait jugé raisonnable devant Dieu d'accomplir, qu'il n'acceptait jamais ou presque, de modifier une décision prononcée après mûre délibération. (LIB n° 103)
On comprend à demi mot que ce ne devait pas être facile tous les jours de vivre avec un pareil « fonceur ». On savait qu'il priait longuement avant de prendre une décision. On vénérait sa sainteté
Mais on savait aussi que la décision prise, il était quasiment inutile d'essayer de le faire changer. Le « ou presque » de Jourdain de Saxe en dit long sur la question.
Ce qui serait de l'entêtement chez un homme ordinaire, apparaît comme une haute vertu chez un saint. D'autant plus que Dominique sait se plier à la volonté de ses frères. Lui, l'homme de décision, a voulu donner à ses frères la possibilité de décider aussi. Non pas de décider chacun de son côté, ce qui n'engendre que de la cacophonie et le désordre, mais de décider ensemble ce qui est bien plus difficile. Dominique a plus d'une fois donné la parole à ses frères pour qu'ils décident.
Il y eut d'abord le choix de la règle sur laquelle devait se fonder ce nouvel Ordre. Et ce n'était pas rien que ce chix initial. Voici ce que dit le Libellus relatant le séjour de frère Dominique à Rome pour le concile de Latran IV
Quand il les eut entendus présenter leur requête, l'évêque du siège de
Rome invita frère Dominique à retourner près de ses frères, à
délibérer pleinement avec eux sur cette affaire, puis, avec leur
consentement uinanime, à vouer quelque règle approuvée.
C'est ainsi qu'après la célébration du Concile ils revinrent et
communiquèrent la réponse du Pape. Bientôt après ils firent
profession de la règle de saint Augustin, cet éminent prêcheur, eux les prêcheurs futures ( LIB n°41-42)
On aura noté des formules telles que déibérer pleinemen,t, consentement unanime. Voilà tout l'esprit de Dominique. Il n'est pas seulement un homme de décision. Il sait aussi obtenir une décision : « Frère Dominique fit si bien qu'il amena les frères de son Ordreà abandonner et à mépriser tous les biens temporels, etc. » (VIE p. 53). Douce mais ferme pression !
Il lui est même arrivé de plier devant une décision des frères qui s'opposait à la sienne. Et ce n'était pas sur un sujet mineur. Il s'agissait du statut des frères convers, ces religieux qui participent à la vocation commune de l'Ordre pour le salut des âmes, non par la prédication, mais par le service dans les couvents. Frère Dominique voulait leur donner plein pouvoir dans ce domaine.
d'énergie à l'étude et à la prédication, frère Dominique voulut que
les frères convers illétrés de son Ordre commandassent aux frères
lettrés en ce qui regarsait l'administration et l'entretien des choses
temporelles. Mais les frères clercs ne voulurent pas se laissser
dominer par les frères laïques (VIE p.53, Déposition du frère Jean
d'Espagne au procés de canonisation de Bologne)
L'art de la bonne décision, allié à celui de savoir accepter la décision de la communauté, est chez Dominique un vrai don spirituel. Il n'agit pas par tempéremment, encore moins par saute d'humeur. Il possède de façon éminente la vertu cardinale de prudence. Il mûrit intèrieurement à ce qu'il doit faire. Il interroge le Seigneur dans une intense prière. Et quand il a décidé, il n'y revient plus.
Pour celui qui veut se mettre à l'école de saint Dominique, il y a là un enseignement à ne pas négliger. Il y aurait, en effet, un véritable danger à se laisser toucher par la misère, si c'était pour en rester là; L'émotion n'est pas bonne conseillère si elle ne s'accompagne pas de la volonté d'agir. Et encore faut-il savoir quoi faire. Inutile de rêver à des objectufs impossibles qu'on devra abandonner sans les remplacer. Inutile de se lancer dans des directions qu'on n'aura pas bien évaluées. A l'inverse il serait désolant de se décourager avant même d'avoir entrepris quoi que ce soit et de se résoudre à ne rien faire.
Saint Dominique donne l'exemple du véritable esprit de décision. Doté d'une imagination fertile, il est plein d'audace quand il s'agit du service de Dieu et de l'Evangile. Il est aussi réaliste que docile, et il se laisse guider par l'Esprit du Seigneur. Le don de Conseil porte en lui les meilleures fruits.
Ses frères et soeurs ont aimé ce trait de son portrait spirituel. Il fait désormais parti de l'esprit dominicain qui s'efforce de mettre en oeuvre ce vieil adage si riche : « Ce qui doit être vécu par tous, doit être décidé par tous » auquel il faut ajouter un complément indispensable : « Ce qui a été décidé par tous, doit être vécu par chacun !: »
UN HOMME DE TÊTE
Je n'ai pas été de ces tout premiers frères, mais j'ai cependant vécu avec eux ; j'ai assez bien vu et connu familièrement le bienheureux Dominique lui-même, non seulement hors de l'Ordre, mais dans l'Ordre après mon entrée ;j'ai pris l'habit quatre ans seulement après l'institution de l'Ordre. Il m'a paru bon de mettre par écrit tous les évènements del'Ordre : ce que j'ai personnellement vu et entendu, ou connu par la relation des frèresprimitifs, sur les débuts de l'Ordre, sur la vie et les miracles de notre bienheureux PèreDominique... Ainsi nos fils qui vont naître et grandir n'ignoreront pasles commencemets de l'Ordre et ne resteront pas sur leur désir inassouvi, lorsque le temps aura si bien coulé qu'on ne trouvera plus personne qui soit capable de rien raconter d'assuré au sujet de ses originines (LIB n° 3)
Les frères et les soeurs de l'Ordresont reconnaissants au Bienheureux Jourdain de Saxe d'avoir eu la prudence de noter ce que furent les débuts de l'Ordre Dominicain. Car il s'agit en effet de l'instauration d'une réalité vraiment nouvelle dans l'Eglise.
En effet sain Dominique inaugure un mode de vie nouveau dans le paysage de la vie religieuse de l'époque. Il instaure la vie apostolique, c'est à dire une vie menée à l'exemple à l'exemple de celle des apôtres. Il ne reçoit pas seulement du ciel une vocation religieuse personnelle ; il reçoit celle d'être fondateur d'Ordre, vocation réservée à un très petit nombre. Au déart, Dominique avait reçu la vocation de « chanoine » régulier : de ce fait il appartenait à un diocèse ; il faisait partie des clercs de l'évêque de ce lieu. Le voilà appelé à prendre la tête d'une réalité toute nouvelle dont il va devoir inventer les institutions. A vrai dire, l'idée était dans l'air du rtemps. Beaucoup s'essayaient à cette forme nouvelle de vie religieuse. Il fallait quelqu'un qui la mette en forme et l'organise durablement.
Dominique a reçu ce privilège. Il va doter l'Eglised'un corps de frères organisés pour La vie apostolique. L'Eglise organisait alors la vie religieuse en congrégation. On connait l'Ordre des Templiers, celui des Hospitaliers, celui des Mercédaires (dont la vocation est de libérer les captifs des Sarrasins). Il y en a eu beaucoup d'autres.
Saint François fonda un Ordre de pauvres dont la vacation est de prêcher pauvre le Christ pauvre, Dominique un Ordre de pr^cheurs pour imiter le Christ prédicateur de l'Evangile.
Pour illustrer ce propos, une anecdote courut très tôt dans l'Ordre de Saint Dominique.
Elle se transmet de génération en génération et chacun y trouve une illustration de ce qu'il veut vivre. Laissons la parole à la chronique :
A l'époque où l'Apôtre (c'est à dire le Pape) devait confirmer l'Ordre, il demande au notaire de mettre dans l'adresse le nom de frères prêchants,. Or celui-ci, mettant au propre la lettre de confirmation, écrivait directement : frères
Prêcheurs. Ayant relu la lettre l'Apôtre dit au notaire : pourquoi n'as-tu pas mis frères prêchants comme je te l'avais dit, et as-tu décidé d'écrire frêres prêcheurs? Sans se troubler, celui-ci répondit : prêchant est un adjectif, bien qu'on puisse concéder que le participe puisse le substantifier et faire de lui un nom commun en acte ; mais prêcheur est proprement un substantif, et c'est en même temps un nom verbal et personnel qui déclare et manifeste le nom de la fonction Voyez donc, chers lecteurs, avec quelle justesse le notaire a réfuté les objections. Prêchant ne signifie jamais son contenu que par mode d'action passagère ; mais prêcheur le signifie par mode de possession, bien qu'il ne soit pas toujours en acte. Il était bien convenable de mettre prêcheurs. Le seigneur Apôtre s'étant rendu à ces raisons évidentes, l'Ordre reçut le nom de prêcheur dans son titre et fut solennellement confirmé par des cardinaux (EVA p 87)
La chose est d'autant moins douteuse qu'il est possible de voir, conservées aux archives de Carcassonne, la bulle de confirmation avec la trace du changelment de vocable. Et ce changement est significzatif. Dominique, en effet, ne demandait pas l'autorisation, pour ses frères et pour lui, de prêcher temporairement à Toulouse ou dans quelqu'autre région, il avait une vision autrement audacieuse, rien moins que d'instaurer pour aujourd'hui, un mode de vie calqué sur ce que les apôtresavaient vécu jadis à Jérusalem après la Pentecôte.
Cette vie apostolique comporte deux éléments indispensables l'un de l'autre : la vie commune et l'annonce de l'Evangile. Aujourd'hui méditons sur cette vie commune à laquelle Dominique a attaché tant d'importance.
La vie commune ne doit pas se présenter comme une juxtaposition d'individus vivant en équipe. Elle prend l'individu, dans son entier, corps et âme. Materellement elle implique l'indispensable mise en commun des biens. En effet, quand les membre d'une communauté ne possèdent rien en propre, ils sont réellement dépendant les uns des autres. Cela façonne une mentalité qui ne peut être que fraternelle, sinon c'est la mort, comme le suggèrent les Actes dans l'épisode d'Ananie et Saphire qui sont morts pour n'avoir pas joué le jeu de la mise en commun des biens (Ac 5,1s).
La vie commune implique également la prière communautaire. La prière des apôtres est la prière de l'Eglise : la divine liturgie qui célèbre inlassablement la résurrection du Seigneur. On y reviendra un jour prochain.
La vie commune, si elle veut être harmonieuse et havre de paix, implique encore qu'on vive réellement sous un même toit et dans l'unanimité. L'unanimité est la transcription du « ils n'avaient qu'un coeur et qu'une âme « du livre des Actes (4, 32). Saint Dominique a été particulièrement soucieux de cette unanimité. Il savait que ses frères ne dureraient ensemble que s'ils avaient le souci d'être unanimes. Si l'adage de saint Benoît est habitare secum (habiter avec soi-même), celui de Dominique sera conivere conventualiter (vivre ensemble en couvent).
La pauvreté fait partie de cette vie commune. Dominique, en optant pour ce mode de vie, demandait à ses frères de se priver des revenus dont les clercs de ce temps bénéficiaient habituellement. Tout au début Dominique avait accepté quelques propriété, c'était à l'époque où l'Odre des prêcheurs n'avaient pas encore été institué. On avait seulement traité de son institution, bien que frère Dominique s'adonnât de toutes ses forces au ministère de la prédication (LIB n°37). Mais rapidement Dominique prend conscience qu'à plus d'un titre il ne fallait pas avoir de revenus. La lioberté de la prédication, la disponibilité des frères, l'imitation de Jésus, etc, autant de raison qui le poussèrent à être intransigeant dans ce domaine.
Lorsqu'il arriva à Bologne le seigneur Hodoric Galiciani voulait donner aux frères quelques uns de ses biens fonds qui valaient plus de cinq cents livres bolonaises, et déjà la charte aurait été signée. Mais frère Dominique fit résilier le contrat, ne voulant pas qu'ils eussent des richesses, ni celles-là, ni d'autres, mais recommandant de vivre d'aumônes. Il voulait des maisons exiguës, des vêtements grossiers, etc. Il défendait aux frères de se mêler du temporel, des affaires de la maison, des décisions à prendre à ce sujet, exception faite pour ceux qui en avaien la charge. Quant aux autres, il les voulait appliqués sans relache à l'étude, à la prière ou à la prédicatopn. (VIE p.59)
Ce témoignage, qui n'est pas unique, est éloquent. On y voit clairement l'intention de Dominique. Il veut que ses frères soient exclusivement occupés de la prédication, avec ce qui est attenant : les études et la prière. Il en fait des mandiants, nom sous lequel ils sont connus. Cette mandicité a connu des formes diverses selon les époques. Elle consiste toujours aujourd'hui à n'avoir pas de revenus et à vivre de ce que la Providence veut bien donner aux frères. Tout ce qu'ils reçoivent ils le mettent en commun.
Dominique, homme de tête, ne tergiverse pas dans ce domaine.Il sait que la vitalité de la vie apostolique en dépend. En mourant il exhorte encore ses frères à la pauvreté volontaire.
Ceux qui veulent se mettre à l'école de saint Dominique méditeront avec profit sur cette exigence.
Le père saint fut également un voyant Dieu par la contemplation. Le
Bienheureurex père visitait volontiers et souvent les lieux de prière et les
reliques corporelles des saints. Il ne passait pas à la façon des nuages qui
retiennentleur pluie : il joignait fréquemment le jour et la nuit dans ses
prières. Assez souvent, chaque fois que l'occasion se présentait, il se rendait
du nom de Castres, au diocèse d'Albi qui touche au diocèse de Toulouse pour
y pénétrer et honorer le Bienheureux Vincent, diacre, dont on sait avrc certitude
que le corps repose dans cette église. (EVA p. 82)
Incontestablement frère Dominique a aimé le Seigneur. Le chroniqueur le montre ici allant en pèlerinage, c' n'est qu'une des manifestations de son attachement profond à son Seigneur.
Dominique nous apparaît comme un homme de profonde foi. Il semble avoir eu dès son plus jeune âge une relation intime avec le Christ. Très tôt il lui voue sa vie, non seulement en conscrant sa vie dans le sacerdoce, mais aussi en manifestant un piété qui a frappé tous ses contemporains. Tous le disent et s'en émerveillent. Les témoignages recueillis lors des enquêtes en vue de la canonisation de Dominique abondent dans ce sens, et on rappelle qu'il a été canonisé à peine treize ans après sa mort, si bien que ceux qui parlent l'ont connu personnellement.
Par exemple, Frère Guillaume de Montferrat, déclare que :
Frère Dominique lui fit l'impression d'un homme très religieux, plus religieux
que tous xeux qu'il est coobu jusque là […] : il lui paraissait avoir pour le salut
du genre humain plus de zèle que tout autre à sa connaissance. (VIE p. 43)
Tant il est vrai que l'amour de Dieu et l'amour du prochain sont liés ches lui
Voici le témoignage très touchant du frère Paul de Venise, un autre de ses compagnons. Il déclare :
Quand ils voyageaient ensemble, il l'a vu prier, s'adonner à l'oraison et à la
Méditarion de Dieu. Maître Dominique lui disait : « Allez en avant et
pensons à notre Sauveur. » Où qu'il se trouvât, il parlait sans cesse de Dieu
et avec Dieu (VIE p. 68)
On été frappé par l'élén de ferveur qui le transportait (LIB n° 103). C'est cette intense vie intérieure qui trans paraît dans ce portrait que tous nous font d'un homme qui passait le meilleur de son temps à parler avec Dieu, quand il ne parlait pas de Dieu à quelqu'un.
Cette vie théologale s'exprimait dans la joie, ce fruit de la vraie charité. Dominique a laissé le souvenir d'un homme rempli par la joie. Lui que nous avons vu si sensible à la misère des autres, laisse le Seigneur l'habiter au point de n'être plus affecté par ce qui pouvait lui arriver. Frère Paul de Venise n'a jamais vu Maître Dominique manifester de la colère, de l'émotion ou du trouble, ni par suite de la fatigue du voyage, ni dans le feu de quelque passion, ni dans aucune circonstance ; il l'a vu bien plutôt joyeux dans les tribulations et patient dans les adversités. (VIE p. 68)
Ce don de la joie , qui vient de Dieu, a connu une fortune particulière après la mort du fondateur de l'Ordre des prêcheurs.
Tous les témoins racontent qu'au moment de la translation des restes de Dominique, du tombeau provisoire où on l'avait déposé au moment de sa mort, vers le tombeau qu'on venait de lui bâtir au couvent de Bologne, ils ont vécu une étrange aventure. Ils ont peur que le corps de saint Dominique qui pendant tant de temps est resté exposé aux pluies et à la canicule, caché dans un méchant tombeau, ne grouille de vers qui le rongent et n'acable l'odorat des assistants par une horrible puanteur (LIB n° 128). Le rère Rodolphe Qui a lui-même ensevi Dominique dans son premier cercueil, certifie que nul parfum n'y avait été déposé. Et c'est lui-même , qui avec des maillets de fer démolit le mur du sépulcre qui nétait très resistant et bâti avec du ciment très fort et très dur. C'est lui qui souleva la dalle supérieure avec une barre de fer. […] Et au moment où il souleva cette pierre avec la barre de fer, une odeur forte, très forte même, suave et délectable qu'il ne connaissait pas, s'en exhala. (VIE p 60).
Cette bonne odeur, cette odeur de sainteté, peut-être que nos sensibilités rationnelles n'y croient pas vraiment, on n'y attachent pas de grande valeur. Peut-être ne savons-nous plus être sensible à ce genre de manifestation de la sainteté ? D'ailleujrs à lire les textes de l'époque, on voit bien que les sensibilités n'ont guère c hagé. Les frères sont peu pressé de voir s'ouvrir le tombeau de leur père. Ils craignent les maujvaises odeurs et les idées qu'on pourrait en tirer. Leur unanimité pour attester ce qu'ils ont senti manifeste leur étonnement. Mais il leur apparaît également comme un signe du ciel. La joie que Dominique a vécue sur la terre se propage maintenant en cette bonne odeur. Elle se répand à profusion et donne de la joie à tous ceux qui en sont les bénéficiaires. La bonne odeur et la joie sont liées, comme la mauvaise odeur et la tristesse. La messe de la translation est célébrée le mardi qui suit la Pentecôte. Providentiellement l'antienne que chante les frères dit : « Accipite jucunsitatem gloriae vestrae ». (LIB n° 129)
Ce parfum répandu par lmes restes de saint Dominique nous apparaît comme une confirmation par lme ciel lui-même de sa vie théologale. Il a vécu dans la foi et l'espérance. Il a vécu d'une parfaite charité à l'égard de Dieu et du prochain. Il a connu la joie même au coeur des tribulations. Il a rayonné de cette vie divine qui l'habitaiot. Il continue de rayonner de joie après sa mort.
Au quatrième jour de notre retraite nous respirons ce bel exemple que nous a laissé saint Dominique, et nous demandons au Seigneur de nous donner un pareil rayonnement qui procède d'une profonde communion avec lui.
UN HOMME DE PRIERE;
Jamais le bienheureux Dominique n'allait prendre son repas sans s'adonner au paravant à une oraison prolongée, et souvent avec tant de gémissements, de soupirs et d'accents, que maintes fois le bruit queil faisait éveillait ses compagnons... Le bienheureus passait ainsi plus de temps à prier qu'à dormir [...] Il s'absrenait de paroles oiseuses et il parlait toujours avec Dieu ou de Dieu (VIE p. 44, témoignage de frère Guillaume de Montferrat au procés de canonisation de Bologne)
Tous ceux qui ont vécu avec le frère Dominique, tous ceux qui l'ont approché peu ou prou, tous les témoins intérrogés en vue de sa canonisation insistent sur l'intensité de sa prière. Dominique prie comme il respire. Il n'est pas de ceux qui ont le temps d'écrire des livres, pas même des livres sur la prière. Il prie. Il passe le meilleur de son temps à prier. Il entre en prière aussi naturellement et rapidement que d'autres, le plus grand nombre, entrent dans le sommeil. S'endormir spontanément est une grâce de l'enfance. Dominique est un enfant selon l'Evangile, un enfant qui plonge dans la prière dès qu'il a un moment. Et bien sûr tout spécialement la nuit. Chez lui, la nuit est faite pour et ces crisprier.
Alors qu'il n'était qu'un tout jeune religieux, il apparaissait déjà comme un homme spécialement doué pour la prière :
Comme l'olivier qui fructifie ou comme le cyprés qui s'élève vers le ciel, il usait nuit et jour le sol de l'église, vaquait sans cesse à la prière et rachetait le temps de sa contemplation en n'apparaissant pour ainsi dire jamais hors de l'enceinte du monastère. Dieu lui avait donné une grâce spéciale de prière envers les pêcheurs, les pauvres, les affligés : il en portant les malheur dans le sanctuaire intime de sa compassion et les larmes qui sortaient en bouillonnant de ses yeux manifestaient l'ardeur du sentiment qui brûlaient en lui-même. C'était pour lui une habitude très courante de passer la nuit en prière. La porte close, il priait son Père. Au cours et à la fin de ses prières, il avait accoutumé de proférer des cris et des paroles dans le gémissement de son coeur. Il ne pouvait se contenir, et ses cris, sortant avec impétuosité, s'entendaient nettement d'en-haut. (LIB n°12)
Dominique, comme une veilleuse qui brûle dans la nuit, réalise le précepte du Seigneur : " Veilles donc et priez en tout temps" (Luc 21, 36). Il ne prie pas du bout des lèvres. Tout en lui devient prière, il prie corps et âme. Il s'enflamme pour son, Seigneur. Il brûle d'amour pour lui. La prière chez lui, répmond à une urgence. Il n'y a pas de temps à perdre. Ce qui se perd, ce sont les âmes. Ceux qui sont dans la peine, sont menacés de désespérer. Il faut intervenir immédiatement.
Et ce qui touche chez saint Dominique c'est la moboilisation de tout son être dans la prière. Il ne prie pas qu'avec sa tête ou qu'avec son coeur. Il prie avec ses mains, avec ses bras, avec son dos, avec ses jambes et ses pieds. Son oraison peut être oraison mentale, n'en est pas moins oraison gestuée.
Ainsi en est-il des larmes abondantes qui jaillissent de ses yeux. Elles expriment matériellement sa profonde communion avec la passion de ceux qui souffrent. Ce ne sont pas des larmes occasionnelles, provoquées par un spectacle qui l'aurait ému sur le moment. Ce sont des larmes occasionnelles, provoquées par un spectacle qui l'aurait ému sur le moment. Ce sont larmes habituelles, car il a sans cesse sous les yeux la passion de son Seigneur et la passion de ses contemporains.
A lm'école de saint Dominique, on apprend à prier avec tout son être. Pour pouvoir l'imiter, il faut d'abord l'observer, comme l'a fait soeur Cécile qui ne se lassait pas de regarder son Maître prier. Le contenu de sa prière est exprimé par ses attitudses. Elles parlent d'elle-même. En voici quelques moments essentiels.
Pour être réellement présent à la réelle présence de Celui à qui on s'adresse, il faut d'abord se prosterner avec foi devant lui. Ainsi, parfois il priait humblement prosterné devant l'autel, comme si Jésus Christ, représent par cette autel, lui était réellement et personnellement présent (M1).
Pour exprimer l'attitude d'humilité, la seule qui convienne pour qui est conscient de son indiginité, il faut ne faire qu'un avec l'humus et prosterner profondément son corps entraînant ainsi tout son être. Souvent aussi le Bienheureux Dominique priait entièrement étendu la face contre terre (M2)
Comme la prière du chrétien estavant tout une imitation du Christ Jésus atteint sa perfection surla croix pour entrer dans la vraie prière. Contempler la croix, l'embrasser, s'y arimer, comme Fra Angélico l'a si souvent peint de saint Dominique, c'est prolonger le sacrifice de la messe, c'est entrer dans la prièere même de Jésus. Ainsi Saint Dominique aimait-il partidulièrement contempler le crucifix. I9l le considérait avec une incomparable pénétration. Devant lui il faisait de nombreuse génuflexions (M4).
De toutes les attitude de prière, celle que le chrétien affectionne le plus est la prière debout . Déja le premier concile oecuménique, en 325, à Nicée, prescrivait aux fidèles du Christ ressuscité d'avoir à célébrer debout la prière eucharistique, manifestant par là qu'ils sont déjà ressuscités. Saint Dominique aimait prier debout. Il est là,simplement présent, les mains ouvertes en signe d'oblation, comme celui qui reçoit tout, celui qui puise au côté ouvert de Jésus l'eau dont il a besoin pour vivre.
Quand il était au couvent, le saint Père Dominique se tenait aussi quelquefois debout devant l'autel, bien droit de tout son corps sur les pieds, sans se soutenir ou s'appuyer à quoi que se fût, les mains étendues devant la potrine à la façon d'un livre ouvert. (M5)*
Pour s'identifier à son Sauveur qui s'offre sur la croix, saint Dominique affectionne particulièrement de prier les bras en croix, paumes ouvertes vers le ciel. On ne dit pas qu'il ait reçu les stigmates, comme son contemporain saint François. Il ne le demande pas non plus. Mais il veut accomplir l'invitation du Seigneur à porter sa croix pour mériter d'être appelé son disciple. On a vu aussi d'autres fois le saint père Dominique prier les mains ouvertes, les bras fortements tendus en forme de croix, et debout, le corps bien droit autant qu'il le pouvait? (M6)
Et toujours dans l'attitude de l'homme debout, saint Dominique adopte une position originale en simulant la flèche lancée par l'arc. Il est tendu vers le Seigneur. Il s'élance, ou plutôt il se laisse lancer vers lui par la puissance de l'Esprit-Saint qui est en nous le puissant moteur de la prière.
On le voyait souvent se dresser de toute sa taille vers le ciel, à la manière d'une flèche qu'un arc bien tendu aurait lancée droit dans l'azur. Il élevait au-dessus de la tête les mains fortement tendues, jointes l'une contre l'autre, ou légèrement ouvertes comme pour recevoir quelque chose (M7)
Dominique est plongé dans la prière, comme dans un alambic qui le décante, le purifie le transforme et distille toutes les pensées, comme tous ses élans pour faire de lui une parfaite offrande. Ce n'est pas tant qu'il prie avec son corps, mis plutôt que son corps est devenu prière. Il est l'expression parfaite de ce que dit Saint Paul : "Nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps." (Rom 8, 23=. Les gémissements de Dominique dans sa prière, ses attitudes corporelles variées, et même le fait que cette prière investisse la nuit, tout manifeste ce travail de transformation de la prière en lui.
C'est qu'il ne prie pas pour lui. Comme le Christ, il prie pour les autres. Il laisse le Seigneur inaugurer en lui ce remodelage de la création, qu'il veut pour le monde entier. "Touite la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement.' (Rom 8, 22)
L'originalité de la prière de saint Dominique est bien là. Sa prière est active, comme sa prédication. Car elle n'est pas différente de sa prédication. Elle en est la face active nocturne. Le jour, le semeur sème. La nuit, le Seigneur donne la croissance à la semence. Le jour Dominique le consacre aux hommes et à la prédication. Il consacre la nuit à Dieu et à la prière. L'un est inséparable de l'autre, comme le modelage de la terre glaise et sa cuisson au four. Une seule et même oeuvre, un seul et même but procédent d'une seule et même préoccupation :le salut des âmes.
Un homme de parole
Le bienheureux Dominique avait une soif très ardente du salut des âmes, dont il était un apôtre incomparable. Il se donnait avec tant de ferveur à la prédication qu'il exhortait et obligeait les frères à annoncer la Parole de Dieu de jour et de nuit, dans les églises ert les maisons, par les champs et sur les chemind , en un mot partout, et à ne jamais parler que de Dieu. Il poursuivait les hérétiques, auxquels il s'opposait par la prédication, les controverses publiques et tous les moyens en son pouvoir? (VIE p. 82, témoignage de Guillaume PEYRE, abbé du monastère de st Paul de Narbonne)
Dans le contexte qui est le sien, où l'Eglise, comme on l'a dit, s'organise en Ordres, c'est à dire en groupe qui ont un charge particulière (un office), la grande intuition de saint Dominique a été de vouloir doter lm'Eglise d'un Ordre dont l'office serait de prêcher l'Evangile. De son évêque, Don Diègue d'Osma, il avait appris qu'un prédicateur de l'Evangile s'il veut être vraiment évangélique doit être pauvre. Dominique va donner à cette exigence une forme permanent et originale.
Comme saint François d'Assise a voulu suivre pauvre le Christ pauvre, frère Dominique veut, en prêchant, imiter le Crhist prédicateur de l'Evangile. La parole remplit toute la vie diurne de saint Dominique. Il est habité par le Christ, Parole de Dieu qui s'est fait homme. Il conscre la nuit à s'entretenir d'autrui avec cette Parole. Il consacre le jour à s'entretenir de cette Parole d'autrui. C'est ce qu'à admirablement résumé ce disciple qu'il n'a pas connu et qui est la gloire de son Ordre, saint Thomas d'Aquin, lorsqu'il dit que l'office des frères prêcheurs est de contempler, puis de livrer aux autres le fruit de la contemplation (formule sans cesse reprise et méditée : contemplation et contemplata aliis tradere).
Sainr Dominique apparaissait à ses contemporains comme un prédicateur hors pair. Tous en témoignent.
Sur tous les terrains de son actrivité, en route avec ses compagnons, à la maison avec son hote et le reste de la maisonnée, parmi les grands les princes et les prélts, il ne manquait jamais de parole d'édification ; il abondait en récits exemplaires capable de porter l'âme des auditeurs à l'amour du Christ et au mépris du siècle. Il se manifestait partout comme un homme de l'Evangile, en parole et en acte. (LIB n° 104)
Celui qui veut se mettre à son école a certainement ressenti cet attrait pour la Parole de Dieu que saint Dominique a transmis à ses frères et soeurs. Et il aimera connaître l'une ou l'autre de ces anecdotes qui se transmettent dans la famille de génération en génération, ce sont les fiorettis de saint Dominique.
Il y a d'abord la rencontre avec cet hôtelier, toulousain et hérétique, qui reste le modèle du zèle apostolique de Dominique. Voici cette anecdote qui se situe bien avant que Dominique ne songe à fonder son Ordre :
Lorsqu'il eut découvert que les habitants de ce territoire (le Languedoc), depuis un certain temps déjà, étaient devus hérétiques, il se sentit troublé d'une grande compassion pour tant d'âmes misérablement égarées. Au cours de la nuit même où ils logèrent dans la cité (de Toulouse) le sous prieur (Dominique) attaqua avec force et chaleur l'hôte hérétique de la maison, multipliant les discussions et les arguments propre à le persuader. L'hérétique ne pouvait résister à la sagesse et à l'esprit qui s'exprimaient : par l'intervention de l'Esprit divin, Dominique le réduisit à la foi. (LIB n° 15)
On institua de nombreuses disputes (disputatio a le sens de débat contradictoire) sous l'arbitrage de députés à Pamiers, Lavaur, Montréal et Fangeaux. Là on se réunissait pour assister à la discussion de foi. (LIB n° 23)
Dominique multiplie ces rencontres. Il y fait forte impression. Malheureusement les détails de ces joutes ne nous sont pas parvenus. Il nous est simplement rapporté que frère Dominique l'emportait sur les opposants par la force de ses arguments et par celle de sa persuasion. Il parlait manifestement comme quelqu'un qui est habité. Il parlait manifestement comme quelqu'un qui est abité par la Parole. Il avait attent ce grand art, fruits de ses longues nuits de contemplation, de laisser la Parole parler en lui.
Parmi toutes ces disputes, l'une est restée particlièrement célèbre : celle de Fanjeaux en1207. Les échanges sont si riches, les arguments tellement forts de part et d'autre, qu'il est convenu que chaque partie les donnera par écrit à une commission d'arbitrage On devait considérer comme victorieuse la créance de la partie dont les arbitres estimeraient le mémoire mieux fondé en union (LIB n° 24).
Mais voilà que les arbitres, malgré un long débat, n'arrivent pas à se mettre d'accord. Ils choisissent alors une sorte d'ordalie.
Il leur vint alors à l'idée de jeter les deux mémoires dans les flammes : si l'un d'entre eux n'étaiti pas consumé, c'est qu'indubitablement il contenait la vérité de foi. On allume donc un grand feu ; on y lance l'un et l'autre livre. Le livre des hérétiques se con,sume aussitôt. Mais l'autre, qu'avait écrit l'homme de Dieu Dominique, non seulement demeure intact, mais saute au loin sortant des flammes en présence de tous. Relancé une deuxième, puis une troisième fois, à chaque fois il ressortit, manifestant ouvertement et la vérité de la foi et la sainteté de celui qui l'avait rédigé. (LIB n° 25).
Ce sont des moyens qh'hn homme d'aujourd'hui n'oserait employer. Et pourtant ! Pourquoi Dieu n'interviendrait-il pas, pour que la vérité soit manifestée ? Encore faut-il oser le lui demander. Il n'est d'ailleurs pas sûr que les opposants s'en soient pour autant convertis.
Autre anecdote, celle du voyage que frère Dominique fit avec frère Brtrand, de Paris à Toulouse. Selon sa coutume il fait le détour par Rocamadour pour y prier dans l'aglise dédiée à Notre Dame. Des pèlerins allemands, qui les entendent prier et chanter se joignent à eux. Puis les invitent à partager leur repas. Et cela pendant quarante jours.
Les Constitutions primitives de l'Ordre des prêcheurs conservent une trace où l'on sent la touche personnelle de saint Dominique. Il y est dit :
Nos frères doivent rester ensemble pour entendre les matines, la messe et toutes les heures canoniales ; et de même pour prendre lesur repas, à moins que le supérieur veuille en dispenser quelques uns. Toutes les heures doivent être récitées à l'église de façon brèrve et stricte, de telle manière que les frères ne perdent pas la dévotion et que cependant leurs études n'en souffrent aucunement. Voici comment nous disons qu'il faut faire : on observera un rythme au milieu du verset avec une pause, sans prolonger la voix à la pause non plus qu'à la fin du verset ; mais bien comme on a dit, qu'on termine de façon brève et stricte. Ce qu'on obsera plus ou moins, selon les temps liturgiques. (VIE pp 165-166)
On relèvera dans ce texte plusi qui n'est certainement pasdeurs choses utiles :
1° Contrairement à ce que pratiquent les moines surtout au temps de saint Dominique, les frères prêcheurs ne sauraient passer le meilleur de leur temps au choeur. Ils le doivent à la prédication et à l'étude qui prépare la prédication. Il y a une hiérarchioe des urgences. Pour autant qu'il attache de l'importance à la récitaion liturgique de l'office, Dominique met l'office à sa place qui n'est certainement pas secondaire, mais seconde.
2° La dispense voulue par saint Dominique n'est pas une simple clause de miséricorde pour les frères qui sont trop malades pour descendre au choeur, il s'agit bel et bien d'un instrument indispensable de la vie du prêcheir. Tour frère peut être dispené de la récitation publique de l'office (mais non de la récitation privée, s'il est prêtre) pour des raisons de prédication ou d'étude.